Chronique ouvrière

L’action syndicale aux fins d’interdiction du transfert irrégulièrement mis en œuvre est-elle vraiment irrecevable ?

vendredi 28 septembre 2012 par Pascal MOUSSY
Cass. Soc. 11 sept 2012.pdf

L’article L. 2132-3 du Code du travail dispose que : « Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent  ».

Par son arrêt du 11 septembre 2012, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la recevabilité de l’action intentée par un syndicat sur le fondement de ce texte, aux fins de faire interdire en référé à un employeur de poursuivre le transfert des contrats de travail intervenu en dehors des conditions prévues par l’article L. 1224-1 (ancien article L. 122-12) du Code du travail.

La réponse de la Chambre sociale a été négative.

« Si la violation des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ayant pour objet le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert de leur contrat de travail porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat, de sorte que l’intervention de ce dernier au côté de du salarié à l’occasion d’un litige portant sur l’applicabilité de ce texte est recevable, l’action en contestation du transfert d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié ; que c’est dès lors exactement que la cour d’appel a décidé que la juridiction prud’homale étant seule compétente pour connaître des action individuelles des salarié à cet égard, il n’y avait lieu à référé  ».

I. La Cour de cassation ne craint pas de se contredire lorsqu’elle affirme que « l’action en contestation du transfert d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié ».

L’arrêt du 11 septembre dernier a été présenté comme s’inscrivant dans la continuité d’un arrêt du 23 janvier 2008 (voir Liaisons sociales quotidien n° 16183 du 18 septembre 2012), qui reprenait lui-même le motif inscrit dans un arrêt du 13 juillet 2004.

Par son arrêt du 16 juillet 2004 (n° 02-43444 ; Bull. V, n° 217), la Cour de cassation a souligné, à l’occasion du contentieux suscité par la demande de reconnaissance d’un contrat de travail présentée par l’ancien président du conseil d’administration d’une société mise en liquidation, que « la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié, et que ce droit ne peut être exercé ni par ses créanciers ni par les organes de la procédure collective  ».

Il a été relevé que cet arrêt a été rendu au visa de l’article 1166 du Code civil relatif à «  l’action oblique » (Voir RJS 11/04, n° 1184). Selon ce texte, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. Par conséquent, seul l’intéressé peut exercer les droits et actions qui sont attachés à sa personne même lorsque les créanciers peuvent exercer une action oblique.

«  On peut penser que les actions relatives au contrat de travail doit être considérées comme attachée à la personne du salarié, même si elles ont des conséquences d’ordre patrimonial, en raison du caractère intuitu personae de ce contrat  » (voir commentaire sous Cass. Soc. 13 juillet 2004, RJS 11/04, n° 1184).

Il est réaffirmé par l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 janvier 2008 (n° 05-16492 ; RJS 3/08, n° 304 ; Dr. Soc. 2008, 503 et s.), que « la reconnaissance d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié  ».

En l’espèce, la Cour de cassation refuse d’admettre la recevabilité de l’action d’un syndicat qui tendait à faire juger que l’une des deux sociétés faisant partie d’une unité économique et sociale était co-employeur des salariés de l’autre société.

« Un syndicat ne peut donc agir en justice pour faire juger qu’une collectivité de travailleurs est constituée de personnes liées par contrat de travail à un employeur déterminé. Il a qualité pour représenter cette collectivité, mais non pour faire juger de quelles personnes elle se compose. Le plus souvent il n’y a pas de contestation sur la qualité de salarié d’un travailleur déterminé appartenant aux membres de la collectivité que le syndicat entend représenter. Mais il n’appartient pas au syndicat de se substituer aux travailleurs, pris individuellement, pour faire juger avec quel employeur ils ont conclu un contrat de travail et pour se constituer ainsi un titre à représenter leur collectivité  » (J. SAVATIER, observations sous Cass. Soc. 23 janvier 2008, Dr. Soc. 2008, 504).

Mais il ne peut qu’être relevé que, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 11 septembre 2012, l’action du syndicat ne tendait pas à faire reconnaître l’existence de contrats de travail. Il s’agissait de s’opposer au démembrement d’une collectivité de travailleurs, dont il n’était jusqu’alors pas contesté qu’ils étaient titulaires de contrats de travail avec la société Carrefour Hypermarchés.

Il doit également noté que le principe posé par l’arrêt du 11 septembre, selon lequel « l’action en contestation du transfert d’un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié  » est mis en porte-à-faux par la constance avec laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation s’attache à proclamer qu’en cas de transfert d’entreprise, «  la substitution d’une employeur à l’autre est automatique » et «  s’opère de plein droit, sans le consentement des parties en cause  » (voir J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, Droit du travail, 27e éd., Dalloz, 2012, 352).

Si la Cour de cassation allait jusqu’au bout de la logique du caractère personnel de l’action en contestation du transfert du contrat de travail, elle devrait donner toute leur portée aux principes d’ordre public de protection et de liberté affirmés par l’arrêt Katsikas de la Cour de justice des communautés européennes et enfin admettre que les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail ne relèvent pas d’un ordre public absolu, mais d’un ordre public de protection qui confère un droit d’option au salarié concerné par le transfert (voir P. MOUSSY, note sous CJCE, 16 décembre 1992, Dr. Ouv. 1999, 422 et s.).

Mais la Chambre sociale a fait le choix de l’intransigeance. Si les conditions d’application de l’article L. 1224-1 sont réunies, le salarié n’a pas à choisir son employeur. Son contrat de travail est transféré d’office.

On comprend dès lors parfaitement en quoi est légitime l’action du syndicat qui entend préserver la collectivité des travailleurs des effets négatifs du démantèlement de l’entreprise provoqué une opération d’extériorisation d’un service ne répondant pas aux conditions légales du transfert.

II. L’intérêt collectif est menacé en présence d’une « externalisation » qui se prévaut faussement des dispositions de l’article L.1224-1.

La mise en œuvre des dispositions de l’article L. 1224-1 (ancien article L. 122-12) du Code du travail suppose le transfert d’une « entité économique autonome  » (voir J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, op. cit., 340).

Par son remarqué arrêt Perrier Vittel France du 18 juillet 200 (n° 98-18037 ; Bull. V, n° 285), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel qui avait conclu à l’absence d’une entité économique entraînant de plein droit l’application de l’article L. 122-12 après avoir relevé que le service transféré n’était qu’un simple démembrement des services centraux et ne disposait pas au sein de l’établissement d’une autonomie, tant dans ses moyens en personnel, en raison de la polyvalence de la plupart des salariés, que dans l’organisation de sa production, qui ne possédait pas de moyens particuliers tendant à des résultats spécifiques et à une finalité économique propre.

Les juges ne sont donc pas restés insensibles devant les méfaits de l’ « externalisation ». « On ne manque pas, en second lieu, d’observer les conséquences préjudiciables que l’externalisation est susceptible de comporter pour les salariés. Changeant d’employeur, ceux-ci perdent souvent le « statut » qui était le leur –c’est, en particulier, un statut collectif qui cesse, à terme du moins, de leur être applicable. Le transfert est également susceptible d’affecter la stabilité de l’emploi, le nouvel employeur présentant, à cet égard, moins de garanties que le premier » (voir G. COUTIRIER, « L’article L. 122-12 et les pratiques d’ « externalisation ». (Les arrêts Perrier Vittel France du 18 juillet 2000) », Dr. Soc. 2000, 848).

Par un arrêt du 22 septembre 2009 (n° 08-42109 ; Bull. V, n° 198), la Cour de cassation a admis que les syndicats sont recevables à intervenir au côté du salarié à l’occasion d’un litige prud’homal portant sur l’applicabilité de l’article L. 1224-1 du Code du travail, en considérant que « les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail ayant pour objet le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert de leur contrat de travail, leur violation porte atteinte à l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat  ».

L’intérêt collectif n’est pas seulement remis en cause lorsque des licenciements interviennent à l’occasion de l’opération de transfert. Il l’est également lorsque le cédant et le cessionnaire se prévalent faussement de l’article L. 1224-1 pour mettre en cause le statut collectif des travailleurs de l’entreprise cédante. Il est aussi du ressort de l’action syndicale d’intervenir lorsque le nouvel employeur présente des garanties moindres pour la stabilité de l’emploi (Il a été affirmé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 janvier 2012 (n° 09-16691 ; Bull. V, n° 5), que « dès lors que l’objet de la demande du syndicat tend à la défense de l’emploi des salariés de l’entreprise, son action est recevable sur le fondement de l’article 2132-3 du code du travail  »).

Il doit être relevé que dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 22 septembre 2009, par lequel la Chambre sociale a admis la recevabilité de l’intervention syndicale dans le litige prud’homal, la contestation ne portait pas seulement sur les licenciements. Elle mettait également en cause la légitimité de l’opération de transfert.

Il est aujourd’hui acquis que les syndicats sont recevables à intervenir dès lors que le litige soulève une question de principe dont la solution est susceptible d’avoir des conséquences pour l’ensemble des entreprises ou des membres de la profession et « de porter un préjudice, au moins indirect, à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent » (voir Cass. Soc. 2 juin 1983, Bull. V, n° 305 ; J.M. VERDIER, Syndicats et droit syndical, vol. I, 2e éd., Dalloz, 1987, 629).

Les effets pour la collectivité des travailleurs d’une « externalisation » qui se prévaut faussement des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail sont indiscutablement de nature à susciter des inquiétudes justifiant l’initiative du syndicat de demander aux juges de prendre en compte l’intérêt collectif lorsqu’est contestée l’opération de transfert.

Et l’on perçoit mal la légitimité d’une interdiction absolue pour le syndicat de saisir le tribunal de grande instance lorsqu’un litige est suscité par le transfert à la régularité suspecte.

L’action syndicale en justice peut s’exercer devant les juridictions d’exception comme celles devant celles de droit commun (voir, à ce sujet, J. M. VERDIER, op. cit., 662).

Il résulte des dispositions du second alinéa de l’article L. 2132-3 du Code du travail que les syndicats professionnels « peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent  ».

L’article L. 211-3 du Code de l’organisation judiciaire indique que « le tribunal de grande instance connaît de toutes affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction ».

Lorsque le syndicat porte devant le tribunal de grande instance le contentieux né du transfert considéré comme irrégulier, il ne demande pas à la juridiction de droit commun d’intervenir dans le champ de compétence du conseil de prud’hommes.

Sa demande n’a pas pour objet de faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail ou de se substituer illégitimement au salarié dans l’exercice de son choix de la personne avec laquelle il entend nouer la relation contractuelle.

Le syndicat entend ici faire constater le caractère illicite et préjudiciable à l’intérêt collectif des salariés d’une opération de transfert intervenue en dehors des conditions prévues par l’article L. 1224-1 du Code du travail, pouvant avoir des conséquences sur le sort du statut collectif des salariés et sur la stabilité de leur emploi.

Et la légitimité de l’action syndicale devant le tribunal de grande instance est renforcée par l’actuelle position prise par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui proclame encore haut et fort que, lorsque ses conditions d’application sont réunies, les dispositions de l’article L. 1224-1 relèvent d’un ordre public qui interdit au salarié de revendiquer son choix de maintenir la relation contractuelle avec la partie initialement choisie.


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